

Si vous vivez quotidiennement avec un trouble anxieux, vous devez commencer à sérieusement douter que la peur et l’anxiété puissent servir à autre chose qu’à vous rendre la vie impossible.
Et pourtant l’anxiété et la peur sont des réactions normales qui nous permettent d’éviter les dangers, présents ou futurs, qui peuvent nous menacer. La peur en particulier nous préserve en déclenchant trois comportements essentiels : fuir, s’immobiliser ou combattre (faire face).

Sans ces comportements nous aurions probablement déjà disparu, incapables de réagir correctement aux menaces de notre environnement. Pour s’en convaincre, regardons les comportements des personnes qui pour des raisons génétiques ou accidentelles sont incapables de ressentir de la peur.
Dans un article de 2011, le chercheur Feinstein et ses collègues relatent le cas très rare d’une patiente nommée SM (deux initiales pour préserver son anonymat). A cause de lésions bilatérales de l'amygdale (une région du cerveau impliquée dans la peur et la détection des menaces), SM montre une absence quasi-totale de peur. Pendant trois mois les chercheurs l’ont soumise à de multiples expériences destinées à provoquer de la peur et de l’anxiété : sans succès.
Dans l’une de ces expériences, les chercheurs ont accompagné SM dans une ménagerie d’animaux exotiques. Avant d’arriver au magasin, SM prévient les chercheurs qu’elle déteste les serpents et les araignées et essaye de s’en tenir le plus loin possible.
Mais en arrivant au magasin, le comportement de SM change radicalement. Acceptant la proposition d’un employé, elle se précipite pour prendre un serpent dans ses mains (voir l’image ci-dessous) en s’exclamant « C’est tellement cool ! ». Loin d’avoir peur, elle insiste à plusieurs reprises pour manipuler des serpents trop dangereux malgré les refus répétés de l’employé du magasin. Les chercheurs doivent même l'empêcher in extremis de toucher une tarentule qui aurait pu la mordre.

Il y a deux grandes conclusions que l’on peut tirer de l’histoire de SM. La première, c’est que la peur et l’anxiété garantissent notre sécurité. Si personne n’avait été là pour empêcher SM de toucher les animaux dangereux, elle aurait pu être grièvement blessée ou tuée.
La deuxième est qu’il est important de rappeler que la biologie et la psychologie des êtres humains a été façonnée il y a des centaines de milliers d’années dans un environnement incomparable avec le monde moderne. Nos ancêtres chasseurs-cueilleurs vivaient dans la nature sauvage où menaces et dangers sont omniprésents. Sans peur ni anxiété, ils n’auraient jamais pu échapper aux prédateurs, ni se préparer à l’avance pour survivre aux hivers et aux conditions de vie rudes.
En fait, ce n’est pas seulement qu’il est normal d’éprouver de la peur et de l’anxiété en tant qu’humain. Nous avons, en plus, un biais de négativité et le cerveau des personnes avec un trouble anxieux souffre d’une version extrême du biais de négativité.
Il s’agit d’une tendance à repérer plus facilement et à se préoccuper en priorité des événements négatifs. Pour le dire simplement: nous avons naturellement plus tendance à éprouver de la peur et de l’anxiété que de la joie ou du calme.
Malheureusement dans un environnement contemporain, ce biais de négativité extrême constitue ce que les chercheurs Nesse et Williams (1994) appellent un « evolutionary mismatch » ou une inadéquation évolutive en français: lorsque des adaptations biologiques anciennes ne sont plus adaptées à l’environnement actuel.
Pour le comprendre, il faut s’intéresser aux travaux d’Haselton et Buss dans les années 2000 portant sur la théorie de la gestion de l’erreur. Cette théorie fait le constat suivant: dans un environnement dangereux comme celui de nos ancêtres, le coût de l’erreur est beaucoup plus élevé pour les événements négatifs que pour les événements positifs.
Cela peut paraître compliqué, mais c’est en vérité très simple en situation. Imaginez que vous êtes un homme ou une femme des cavernes qui a faim. En regardant au loin vous croyez discerner des tâches de couleur au niveau d’un arbre. A cause de la distance vous avez du mal à bien distinguer, mais vous savez qu’il y a deux possibilités: ces tâches de couleurs signalent soit des fruits appétissants, soit le pelage d’un prédateur qui dort dans les arbres et qui ferait volontiers de vous son goûter. Que faites-vous?
Pour répondre à cette question il faut considérer deux scénarios dans lesquels vous vous trompez:
Vous comprenez vite que les conséquences d’une erreur dans le scénario 1 est bien moindre que dans le scénario 2. Dans le premier cas vous devrez continuer de chercher de la nourriture le ventre vide alors que dans le deuxième vous risquez la mort, le game over définitif. L'évolution a donc naturellement favorisé les gens les plus prudents, c'est-à-dire ceux qui avaient plutôt tendance à assumer le pire et à facilement éprouver de la peur ou de l’anxiété.

Si vous êtes de ceux qui souffrent de troubles anxieux, vous êtes probablement les descendants de ceux parmi nos ancêtres qui avaient le plus tendance à ressentir de la peur et de l’anxiété. Pour simplifier, votre système de détection et d’évaluation des menaces souffre d’une forme extrême du biais de négativité.
Ironiquement, la sensibilité extrême aux menaces qui vous rend la vie impossible, vous la sauverait dans un environnement très dangereux comme celui de nos ancêtres. Et pas seulement vous, mais aussi vos amis et proches qui bénéficieraient de votre prudence.
Pour faire court: votre système de détection de la menace passe son temps à vous protéger de dangers mortels imaginaires. La peur et l’anxiété qui devraient vous protéger deviennent nuisibles.

Vous l’avez compris, les troubles anxieux sont l'exact opposé du cas de SM et représentent une forme extrême du biais de négativité qu’ont en commun tous les êtres humains. Affecté par ces syndromes, votre système de la peur et de l’anxiété passe son temps à interpréter des situations inoffensives comme des menaces mortelles.
L’anxiété et la peur deviennent maladaptives (et insupportables) de part:
Pas étonnant que vous viviez un enfer si vous êtes victimes de troubles anxieux. Pour les personnes qui font des crises de panique, les symptômes physiques (cœur qui bat la chamade, vertiges, hyperventilation et sensation d’étouffement, transpiration, douleur à la poitrine, sensation de perte de contrôle, etc…) qui les accompagnent sont si violents qu’ils deviennent eux-mêmes une source de peur et d’anxiété.
Mais qu’est-ce qui pousse un cerveau à percevoir des situations bénignes comme faire la queue, être seul.e dans un parking ou prendre les transports publics (pour n’en citer que quelques-unes) comme des menaces mortelles ? Voici quelques mécanismes proposés par le chercheur Ledoux dans son livre Anxious (2015) :
Très simple parce que le problème central tient en une ligne: les systèmes de détection et d’évaluation de la menace exagèrent la menace représentée par certaines situations. Complexe parce qu’il y a plusieurs mécanismes qui peuvent contribuer à cet effet et qu’il faut réussir à trouver celui qui produit le plus d’effet chez vous.
LeDoux, J. (2015). Anxious: The modern mind in the age of anxiety. Simon and Schuster.
Feinstein, J. S., Adolphs, R., Damasio, A., & Tranel, D. (2011). The human amygdala and the induction and experience of fear. Current biology, 21(1), 34-38.
Haselton, M. G., & Buss, D. M. (2000). Error management theory: a new perspective on biases in cross-sex mind reading. Journal of personality and social psychology, 78(1), 81.
Nesse, R. M., & Williams, G. C. (2012). Why we get sick: The new science of Darwinian medicine. Vintage.
Rozin, P., Millman, L., & Nemeroff, C. (1986). Operation of the laws of sympathetic magic in disgust and other domains. Journal of personality and social psychology, 50(4), 703.